Le théâtre de Christophe Rauck excelle dans la recherche de la jubilation intelligente tout en affirmant un point de vue politique. Ses spectacles, visuellement marqués par son passage aux Arts décoratifs, déclinent souvent le monde sur un mode burlesque. Après Le Cercle de craie caucasien et La Vie de Galilée, il retrouve Brecht et ses clowns noirs. Truculent.

Entre 1931 et 1934, Bertolt Brecht tente d’adapter Mesure pour mesure de William Shakespeare. Mais le projet, avec l’avènement du nazisme, change de nature. En 1938, c’est Têtes rondes et Têtes pointues qu’il publie à Londres et que Christophe Rauck monte au moment où le Moyen-Orient s’enflamme.

L’intrigue est simple : au pays de Yahoo (royaume imaginaire inventé par Jonathan Swift), Têtes rondes et Têtes pointues vivent ensemble. Survient une crise économique inextricable : la production de blé qui assure la richesse du pays étant trop abondante, le cours de la céréale s’effondre et laisse les paysans dans la misère.

Pour mater la révolte qui gronde, conseillers et comploteurs intiment au roi de remettre sont pouvoir aux mains d’Ibérine, un politicien sans scrupule. Ce dernier décide de se lancer dans une violente campagne de persécution. Le but ? Protéger les privilèges des grandes fortunes au sommet de la pyramide sociale en désignant les Têtes pointues comme bouc émissaire. Une gigantesque manipulation politique qui, exploitant le désespoir d’un peuple, conduit à une haine rationalisée de l’Autre.

Pour dire cette époque au bord de la guerre civile, Christophe Rauck et son scénographe, Jean-Marc Stehlé, ont imaginé un décor mobile. Façades de carton-pâte coulissantes qui rythment la traque des personnages de cette farce tragique. Et pour donner vie à cette galerie intemporelle de fourbes, pleutres, clowns, vierges et autre mère maquerelle pris au piège qui dansent et chantent un monde sans lendemain, le metteur en scène choisit le jeu des masques et recourt à une nouvelle partition, « un décor musical » signé Arthur Besson.

Formidable directeur d’acteur, servi par une troupe de comédiens exceptionnels, aussi à l’aise vocalement (ils interprètent toutes les chansons de la pièce) que dans le registre du grotesque, Christophe Rauck coud à même le corps de ses interprètes une mise en scène dense et nerveuse qui fera date.

Production TGP-CDN de Saint-Denis Coproduction Théâtre national de Toulouse