A PROPOS DE LA TRAGÉDIE DE FAUSTUS
Face à la figure si célèbre et emblématique du Docteur Faustus, j’ai tout d’abord essayé de comprendre comment les multiples transformations du personnage, les diverses versions littéraires du mythe de Faust pouvaient prendre place et résonner aujourd’hui. Nous connaissons curieusement davantage le mythe de Goethe que celui de Marlowe, ou imaginons du moins le connaître. Chez Goethe, il y a - en bref bien sûr - une soif d’absolu, une projection au-delà du monde connu, de la connaissance, du temps humain, une œuvre complexe et métaphysique, avec l’idéal amoureux comme viatique pour l’éternité.
Aux temps encore baroques, réputés troubles, aventureux, propices aux inversions, Christopher Marlowe avait déjà (ré)écrit sa version du Faust, mais à son image, un maître étalon, un alter ego prompt aux rêves et aux décisions précipitées, aux disputes, un acharné de la vie, un assoiffé de savoir et de succès. La liste est longue, tant ce personnage porte en lui de possibilités et s’identifie à la pulsion humaine de découverte et de défi tel Icare, Don Juan, toute la cohorte des libres penseurs condamnés au nom d’un dieu ou du pouvoir politique.
Ombre de son auteur, illustration de l’intellectuel aventurier de la Renaissance, ce Faust-là, Faustus, brûle les étapes, avec l’urgence de ceux qui ont accepté de mourir. Jeune d’esprit sinon de corps, et ambitieux, il porte atteinte aux lois naturelles, aux codes sociaux, à l’ordre public et à ses règles. Une quête de la vérité, une exigence d’être soi, dans le ton de la tragi-comédie... Il cherche afin d’assouvir ses désirs les outils adéquats, ceux qui sauront effacer les limites de sa condition d’homme : depuis les jeux d’optique, l’induction psychologique, jusqu’aux phénomènes d’illusions par la création d’images, les attaques informatiques et la manipulation du vivant. Faustus, derrière ses machines hyper-sophistiquées, a encore en lui le sorcier originel.
Il y a un mystère de la fascination pour Faust, des générations d’artistes et de penseurs, un attachement à son sens de l’à-propos comme à ses errements. J’entrevois aujourd’hui son reflet dans certaines attitudes de la société face aux avancées scientifiques, de l’ordre de l’emballement collectif. De son côté la recherche évalue, calcule la courbe de notre évolution récente, sur les axes progrès à poursuivre / cauchemar à éviter.
Faustus fait l’expérience du surhomme, de l’homme parfait que la science nous donne à rêver : le pouvoir de se sculpter, de se programmer à l’image de ce que nous voulons être, de vivre plus longtemps. L’électronique, les médicaments, la chirurgie que nous avons apprivoisés contribuent «comme par magie» à nous rendre plus intelligents, plus forts, plus rapides, en un mot plus efficaces.
Aux mains de cette science, le corps devient œuvre d’art, mille fois retouché au scalpel par des Méphistophélès aux doigts d’or. Il devient machine, dotée d’un cerveau dont on peut connecter les neurones, ou dotée de prothèses, de corps étrangers, de cellules qui ont cessé de dégénérer. Il devient marchandise, dans les pays pauvres, par le jeu du trafic d’organes. Il devient modèle reproductible à l’infini.
Victor Gauthier-Martin